Chamanisme et préhistoire
C'est Spitsyne[8] qui a révélé au public la découverte de plaques chamaniques coulées dans le bronze,
nommées les plaques de Perm, sur les bords de la Kama et de l'Ob, dans l'Oural.
Elles datent du Moyen Âge.
Sur certaines d'entre elles, il s'agit de figuration de deux femmes-élanes,
debout sur un énorme dragon et formant, à l'aide de leurs têtes d'élanes, la voûte céleste
sous laquelle on peut voir soit de petites silhouettes humaines,
soit une silhouette masculine coiffée d'un masque d'élane.
Pour certaines de ces plaques, un parallèle a été fait, par A.V. Schmidt,
avec la littérature orale laponne fixée en 1926-1927 et relatant la légende de l'homme-renne[10].
Pour Boris Rybakov [11]le culte des cervidés célestes, qu'on retrouve également sur certaines de ces plaques,
est très répandu chez les peuples sibériens :
chez les Evenki de la Toungouzka il y a l'élane céleste Bougady Enintyne,
chez les Kéty il y a la déesse Tomane,
chez les Selkoupy il y a Yliuonda Kotta.
Le culte des deux maîtresses célestes du monde, semi-femmes semi-cervidés est également répandu (Nganassanes, Evenki, Dolganes, Nivkhi des îles Sakhaline).
La coiffure chamanique décorée d'un museau d'élane est attestée également par des données archéologiques.
On la trouve sur une sculpture d'os provenant de la nécropole mésolithique de l'île au Renne de l'Onéga (Ve millénaire avant notre ère) et coiffant un officiant s'élevant vers le monde céleste, entouré de deux femmes, la tête tournée vers le chamane.
Spitsyne l'identifie au casque de souldé des plaques de Perm.
On la trouve aussi dans l'île au Renne de la Mer de Barents, dans la tourbière de Chiguir dans l'Oural,
près de Palanga sur les bords de la Baltique.
Pour Boris Rybakov, le culte des cervidés célestes, étroitement associé au chamanisme,
est ainsi attesté au mésolithique il y a cinq mille ans, au cours de la période du folklore de bronze du VIIe au XIe siècle, et dans les mythes cosmogoniques sibériens collectés au XIXe et XXe siècles.
Son étendu géographique est celui de l'ensemble ethnique toungouze, samoyède et ougrien,
mais s'étend bien au-delà d'après ses conclusions (Europe et Asie).
Par contre, d'après cet auteur, aucune base ne permet de supposer qu'il ait existé chez les chasseurs de l'époque glaciaire. Bien que les figurations de cervidés soient fréquentes dans l'art paléolithique, elles ne se distinguent pas de la masse des autres animaux. Concernant peut-être la seule exception, le Dieu Cornu pourrait n'être finalement, selon Rybakov,
qu'un simple chasseur ayant mis sur lui une peau de renne pour approcher un troupeau,
dans le cadre d'un déguisement.
L'interprétation de l'anthropologue Margaret Murray,
suivant laquelle le dieu cornu serait invoqué dans un rituel chamanique,
semble controversée.
Principes du chamanisme
Le chamane est un être complexe chez qui on a voulu voir un guérisseur, un sorcier, un prêtre, un magicien,
un devin, un médium ou un possédé[13].
On croit que les animaux sont animés par des esprits. Le chaman les rejoint dans le monde non sensible de la «surnature».
Pour ce faire, il doit lui-même se transformer en animal et épouser la fille de l'esprit donneur de gibier (l'esprit de la forêt),
qui lui servira de guide[16],[17].
Cet esprit a souvent la forme d'un cerf.
Les gesticulations du chaman, que les Européens ont parfois pris pour de la folie, ne sont rien d'autre que la manifestation de sa nature animale. De son épouse, à l'aide de séduction et de ruse, il obtient des promesses de gibiers,
animaux qui viendront donner aux chasseurs leur principe vital.
Mais la chasse est un échange :
les esprits des chasseurs sont eux-mêmes dévorés, ce qui leur cause des maladies et conduit à une mort inéluctable.
Le rôle du chaman n'est pas, normalement, d'y remédier.
Il doit seulement faire en sorte que l'échange se produise, mais de façon à retarder le plus possible l'échéance de la contrepartie, c'est-à-dire la seconde phase de l'échange, par le biais d'une manipulation.
Le chamanisme d'élevage
Le chamanisme est marqué par des changements et des mutations lorsque la chasse cède le pas aux activités agricoles et d'élevage[18].
La survie de la communauté ne dépend
alors plus des esprits des animaux, mais d'esprits à caractère humain, notamment de ceux des ancêtres[19].
Le monde des esprits, auparavant confiné à la forêt, s'étire vers le haut et le bas, vers ce qui deviendra le Ciel et les Enfers.
Ce monde non phénoménal est souvent perçu comme étant une échelle à barreaux ou encore parfois un arbre, avec ses branches et ses racines.
Le chaman est celui qui a la capacité de monter et descendre le long de ces différents niveaux de réalité,
vers le Ciel ou les Enfers, de rencontrer des entités des mondes supérieurs et inférieurs (des esprits, par exemple)
et de ramener de son voyage conseils, soins et pouvoirs « magiques », expansion de conscience etc.
Ainsi, pour effectuer un soin, le chamane entre d'abord dans un état de conscience modifié par le biais de transes et d'extases provoquées, par exemple,
par des techniques de visualisation, de respiration, la musique, la danse ou l'utilisation de plantes psychoactives.
Cet état est censé lui permettre d'accéder au monde non phénoménal.
Il est souvent aidé par un ou plusieurs esprits alliés (animaux, plantes, objets ou même ancêtres)
et doit alors faire face à la maladie de son patient, qui peut être visualisée sous la forme d'un monstre ou d'un mauvais esprit.
Il utilise un ensemble de techniques choisies en fonction de sa situation et de sa culture, et qui peuvent aller de l'aspiration du mauvais esprit au don d'énergie... À la fin du processus, le patient est souvent censé avoir récupéré un morceau de son âme qui lui aurait été volé, ou avoir fait sortir hors de son corps un mauvais esprit.
Les thèmes majeurs du chamanisme
Elle révèle l'élection du futur chamane.
Les symptômes sont conventionnels, attendus, plus ou moins provoqués.
Elle est interprétée comme une absence de l'âme qui est partie dans l'au-delà.
L'évanouissement est le symptôme caractéristique de la maladie.
Dans le cas du chamanisme d'élevage, les esprits se sont humanisés, et l'électeur est l'esprit d'un ancêtre.
L'évanouissement est le moment particulier
où les ancêtres emmènent l'âme du futur chamane pour y être instruit.
Elle donne l'apparence de la folie et exprime la présence d'un danger de mort.
Le premier évanouissement indique une future carrière de chamane.
L'élection du futur chamane est vécue, en général, comme un fléau,
aussi bien par le candidat que par la famille de celui-ci.
Il y a un danger de mort en cas de refus d'assumer la fonction de chamane.
C'est l'esprit électeur qui s'en charge.
Le dépècement et la dévoration du corps
Le morcellement du corps, ou dépècement, ou dévoration est une mort rituelle qui est suivie d'une résurrection.
Elle marque le passage du profane au sacré, l'initiation par les esprits,
et s'inscrit dans le cadre de la "maladie initiatique".
➝ Dans le chamanisme de chasse,
le morcellement du corps est le fait des esprits auxiliaires
qui mangent la chair et boivent le sang du futur chamane.
Il s'agit surtout d'une dévoration interne.
À la fin du rituel, le chaman peut alors incorporer les esprits auxiliaires dans les accessoires
que la communauté lui a confectionné.
Chaque séance chamanique sera par la suite l'occasion de nourrir les auxiliaires,
ce qui est le prix à payer pour le service rendu :
il s'agit donc d'un processus continue qui a lieu toute la vie du chamane,
ce qui est à mettre en rapport avec son teint blême.
➝ Dans le chamanisme d'élevage,
le dépècement s'effectue généralement en une fois, lors de la "maladie initiatique".
C'est une dévoration externe, c’est-à-dire qui a lieu en général en dehors du corps du chamane.
Il existe certaines particularités comme la cuisson de la chair et le comptage des os. Elle est l'œuvre des ancêtres.
Cependant, dans le chamanisme d'élevage, coexistent des éléments du chamanisme de chasse,
ce qui se traduit par l'existence parallèle d'esprits animaux et d'esprit des ancêtres :
la dévoration interne continue persiste donc parallèlement.
Tout autre est la dévoration de la chair humaine consécutive à la prédation des esprits,
dont l'action entraîne la maladie par le biais du départ de l'âme, voire la mort en cas de départ définitif.
Ce cadre est celui de tout un chacun qui peut devenir la proie d'un esprit :
L'esprit électeur et les esprits auxiliaires (alliés)
Les variations concernant ce thème sont très importantes suivant les ethnies et les époques.
Il existe cependant des lignes communes qui sont abordées ici.
La distinction entre l'esprit électeur (ou protecteur),
et les esprits auxiliaires (ou familiers, ou gardiens) revient constamment.
L'esprit électeur est unique.
C'est lui qui choisit le chamane et le protège toute sa vie. Il possède une double identité sexuelle, féminine et masculine.
Il est impossible de s'y soustraire, sous peine de mort.
Il accorde au chamane le service des esprits auxiliaires.
Au cours de la séance chamanique,
l'éclat de furie du chamane correspond à son union avec son électeur
et assure le départ et le voyage du chamane dans l'au-delà, avec le concours des esprits auxiliaires.
Dans les sociétés de chasse,
l'esprit protecteur choisit "par amour" son (ou sa) chamane et devient son conjoint surnaturel.
Il est l'esprit de la fille ou du fils de la forêt, le donneur de gibier.
Son exigence est de l'ordre de la jouissance.
Il existe ainsi une forte connotation sexuelle avec celui-ci.
Il octroie au chamane son droit de chasse dans l'au-delà.
Dans les sociétés d'élevage, l'esprit protecteur est en général l'esprit d'un ancêtre, lui-même ayant été chamane.
Et de ce fait l'enseignement du chamane provient souvent de cet esprit,
le préparant à des révélations
et à des contacts avec des êtres divins ou semi-divins (rôle de psychopompe).
Parfois l'électeur est un esprit céleste mineur.
Suite !!