ECONOMIE SOCIALE ???

 

http://www.lemonde.fr/idees/article/2011/06/27/de-nouveaux-partenariats-pour-l-economie-sociale_1540657_3232.html

 

LEMONDE.FR | 27.06.11 | 09h09 • Mis à jour le 27.06.11 | 09h22

A l'heure où Paris fête l'économie et l'entrepreneuriat social – le laboratoire de l'économie sociale et solidaire organise
ses Etats généraux au Palais Brognart pendant qu'Ashoka,
l'un des réseaux d'entrepreneurs sociaux les plus développés au monde fête ses trente ans sur le campus d'HEC –
il n'est peut-être pas inutile de rappeler l'histoire longue que la Capitale
entretient avec cette idée lumineuse
selon laquelle le marché est aussi une conquête sociale.

 

En 1900, était en effet organisé dans le cadre de l'Exposition universelle de Paris

un Palais de l'économie sociale,

preuve de l'importance – et de la dimension universelle –

que prenait cette idée au tournant du siècle dernier.

Charles Gide, professeur d'économie sociale à l'Ecole des ponts et chaussées,

dans le rapport qu'il rédige sur l'exposition s'adresse aux futurs lecteurs que nous sommes désormais devenus : 

"Si, dans cent ans, quelque nouveau rapporteur pour l'exposition de l'an 2000 retrouve

le présent rapport dans des archives, […]

il apprendra, ce que les hommes du commencement du XIXe siècle croyaient savoir

en fait d'économie sociale, ce qu'ils pensaient avoir fait de bon, ce qu'ils attendaient de l'avenir

et, s'il trouve quelque naïveté dans leurs certitudes et quelques vanités dans leurs espérances,

cela lui sera encore un utile enseignement."

Qui sait ce que le lecteur de la fin du XXIe siècle pensera des espérances,

voire des naïvetés que suscitent les formes d'entrepreneuriat social mises en œuvre aujourd'hui ?

Il y verra peut-être, au regard de cette illustre genèse, d'évidentes continuités

et des ruptures tout aussi significatives.

L'économie sociale est née au XIXe siècle en réaction aux bouleversements et à la violence de la Révolution industrielle. Elle n'a certes pas disparu tout au long du XXe siècle

mais son renouveau actuel témoigne du même souci de domestiquer une mondialisation financière

devenue folle sans pour autant récuser l'économie de marché.

 En bref, la même idée : le marché est un mauvais maître mais un bon serviteur.

Il est ainsi possible de rompre avec la fatalité selon laquelle les entreprises "classiques" créent de la richesse,

ceux qu'elles laissent au bord de la route étant pris en charge par des mécanismes de solidarité, publique ou privée.

Il ne s'agit pas de se substituer à la puissance publique via des programmes philanthropiques,

récusés hier comme aujourd'hui,

mais bien de travailler sur le cœur de métier des entreprises,

pour développer des mécanismes économiques susceptibles de réduire la pauvreté

et de contribuer à la cohésion sociale.

La rupture est néanmoins saillante, en particulier depuis le phénomène incontournable

que constitue désormais la mondialisation des économies.

 Il est en effet nécessaire de penser l'entrepreneuriat social à l'échelle internationale.

Ce débat est d'autant plus important que

des entreprises multinationales

cherchent aujourd'hui à définir de nouvelles formes d'approches de marché

qui, dans une logique de pérennité financière visent à contribuer à la lutte contre la pauvreté.

Ces deux sphères de l'économie doivent-elles se contenter de coexister ou peut-on imaginer mieux articuler

les logiques de l'entrepreneuriat social avec celles des entreprises multinationales ?

Peut-on se risquer à espérer de réels partenariats entre organisations aux mandats et aux cultures certes différents,

entre lesquelles la méfiance règne parfois,

mais dont seule l'alliance semble à la hauteur des questions sociales contemporaines.

Ni l'économie sociale ni l'entreprise classique ne pourra par exemple résoudre seule la question de la pauvreté.

Tentons en premier lieu de ne pas être naïf.

Il y a le danger évident d'instrumentalisation tant certaines entreprises, rompues à l'art du social washing savent créer les contre-feux nécessaires pour pérenniser des activités loin d'être socialement utiles.

Un peu d'innovation sociale est parfois la meilleure garantie de l'ensauvagement du capitalisme.

Il faut à cet égard juger des partenariats dans le temps afin de voir dans quelle mesure ils ont pu conduire à de véritables changements ou s'ils sont restés cantonnés à une logique d'image pour les entreprises qui le mettent en œuvre.

Il y a ensuite le risque d'une concurrence.

Une fois un marché développé au sein de l'économie sociale, des grandes entreprises peuvent

en saisir les opportunités les plus intéressantes.

Des mesures de protection sont, dans ce cadre, indispensables.

Les dangers sont certes réels mais il nous semble que des partenariats,

fondés sur un véritable dialogue d'entrepreneurs à entrepreneurs est riche de promesses.

Les grandes entreprises peuvent en premier lieu être utiles aux entrepreneurs sociaux.

Les grandes entreprises n'ont ni l'expertise ni le temps pour s'imposer comme des "laboratoires sociétaux" de lutte contre la pauvreté.

Dans cette perspective, leur rôle n'est pas de se substituer aux petites structures que de soutenir celles dont les solutions auront prouvé leur efficacité dans le temps.

C'est dans cette perspective que les partenariats avec des organisations de l'économie sociale prennent tout leur sens : il s'agit bien, une fois des solutions définies

à travers des projets pilotes par des associations de les répliquer à plus grande échelle

et de les généraliser sur un territoire grâce à la puissance d'entreprises multinationales.

Les fonds d'investissement lancés par Danone ou Schneider Electric s'inscrivent

dans cette logique vertueuse.

A l'inverse, les entrepreneurs sociaux peuvent contribuer à une régénérescence des grandes entreprises.

En termes de motivation et de projet d'entreprise mobilisateur tant ces partenariats peuvent permettre de réconcilier

l'utilité sociale et la compétence.

"CO-PRODUCTION" DE SOLUTIONS SOCIALES

Il s'agit ensuite de redécouvrir pour les entreprises multinationales une notion qu'elles ont tendance à très largement négliger depuis des décennies : la géographie.

Beaucoup d'entreprises multinationales ont contribué à encourager la déterritorialisation de nos économies.

L'entreprise sociale est d'abord une entreprise locale, inscrite dans le maillage territorial.

Entre le mythe de la démondialisation et les fantasmes d'économie totalement déconnectée

de toute réalité géographique, travailler avec des entrepreneurs sociaux

peut créer des modèles véritablement multi-locaux.

Un troisième acteur s'impose enfin dans le cadre de ces coopérations :

les autorités publiques, particulièrement au niveau local.

La nouvelle alliance entre les élus locaux, les associations et les entreprises au sein des bassins de vie

constitue la meilleure réponse aux défis sociaux et économiques des territoires.

On le sait, la lutte contre la pauvreté ne saurait se limiter à la définition de nouveaux business models si innovants soient-ils,

comme il est trop convenu de le dire.

Il ne s'agit pas seulement de biens essentiels auxquels il faut donner accès mais aussi de liens sociaux et politiques à construire.

C'est donc un projet de transformation sociale qui dépasse la logique de marché

pour embrasser de multiples dimensions politiques et institutionnelles.

C'est dans cette perspective que les autorités publiques peuvent à la fois apporter leur légitimité de définition de l'intérêt public

et leur expertise en termes de politiques sociales.

Les responsables politiques peuvent considérablement stimuler ces nouvelles coopérations fondatrices

d'une société plus inclusive.

Les partenariats que nous appelons de nos vœux,

entre entreprises multinationales, entrepreneurs sociaux et élus locaux

ne s'inscrivent ni dans une logique d'hybridation – chacun y apporte sa compétence et sa légitimité propre – ni de simple mécénat.

Ils reposent au contraire sur une logique d'action collective et de "co-production" de solutions sociales.

C'est à ces conditions que l'économie pourra devenir ce que Charles Gide espérait qu'elle devint dès 1900

 quand il définissait l'économie sociale comme 

"les rapports que les hommes forment entre eux en vue de s'assurer une vie plus facile,

un lendemain plus certain,

une justice plus bienveillante et plus haute

que celle qui porte pour tout emblème les balances du marchand.

C'est finalement l'effort pour perfectionner l'art de vivre en société" .


Jean Deydier est président d'Emmaüs Défi ;

David Menasce est professeur associé à la chaire Entreprise et pauvreté à HEC ;

Pierre Victoria est directeur adjoint du développement durable de Veolia environnement.

Jean Deydier, Emmaüs Défi, David Menasce, professeur à HEC et Pierre Victoria, Veolia environnement
 
 
 
 
 
Suite !!
 
 
 
 
 
 
 

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