Les esprits auxiliaires
sont en général soumis à l'esprit électeur :
c'est ce dernier qui les transmet au chamane (chamanisme de Sibérie).
Parfois, la transmission se fait par héritage.
Parfois leur concours doit être un acte de volonté et de recherche personnelle de la part du chamane (chamanisme nord américain).
Pour obtenir leurs services, le chamane doit les nourrir de son propre corps : leur exigence est alimentaire.
Ils donnent au chamane les moyens de la chasse dans l'au-delà : ce sont les pouvoirs chamaniques.
Chacun est spécialisé dans un service.
Un chamane peut en avoir plusieurs ;
c'est d'ailleurs au nombre d'esprits auxiliaires qu'un chamane est fort ou faible.
La relation d'un auxiliaire au chamane est soit de l'ordre du bienfaiteur, soit de l'ordre du serviteur.
Le transfert des esprits auxiliaires se voit et s'effectue
dans les accessoires de son costume.
La réunion des esprits auxiliaires peut parfois prendre plusieurs années,
et fait intervenir une grande partie de la communauté.
La plupart du temps ils ont la forme d'un animal : ours, loup, cerf, lièvre mais aussi oie, aigle, hibou, corneille...
Ils peuvent également être des esprits de la nature : esprit des bois, de la terre, d'une plante, du foyer, fantôme...
Le chamane prend possession de l'esprit auxiliaire au cours de la séance chamanique.
Bien plus qu'une imitation de celui-ci, il est identifié à cet esprit et se métamorphose en lui :
c'est l'ensauvagement du chamane, suivant Roberte Hamayon.
L'auxiliaire a alors un rôle de psychopompe, c’est-à-dire qu'il accompagne le chamane dans l'au-delà :
c'est l'expérience ou le voyage extatique du chamane, suivant Mircea Eliade.
L'âme, ou du moins la part perceptive, douée de perception, de l'homme, a la faculté de quitter le corps,
chez les gens ordinaires, comme chez le chamane et le héros épique.
Chez les gens ordinaires, elle le quitte à certains moments particuliers : pendant le rêve, l'ivresse et la maladie.
Ils ne sont pas contrôlés.
Chez le chamane, le départ de l'âme (où de la part perceptive de l'homme) se voit au cours de la maladie initiatique (absence d'âme),
au cours de la furie pendant la séance chamanique (ensauvagement selon Roberte Hamayon),
au cours de son voyage dans le monde des esprits (l'extase de Mircea Eliade).
Il réalise ici-bas et autant de fois qu'il le désire la "sortie du corps".
Les voyages de "l'âme" sont largement attestés dans la culture :
littérature, croyances et mythologie, récitation des épopées.
Il existe une similitude entre les récits des extases chamaniques et certains thèmes épiques de la littérature orale :
l'aventure héroïque s'apparente au voyage du chamane dans la surnature.
Souvent il s'effectue sous la forme et l'apparence d'animaux.
Il s'agit de franchir des espaces dont la forme humaine interdit l'accès.
Les épopées exirit-bulagat sont ainsi des modèles et le véhicule d'une idéologie où ces voyages et ces métamorphoses sont largement attestés.
Le support concret et naturel des voyages de l'âme est représenté par certains oiseaux,
notamment les cygnes qui sont les porteurs d'âmes par excellence :
ils rapportent de l'âme pour les enfants et les animaux à naître, témoignant de l'animation et du renouvellement de la vie,
conformément à la pratique des grands rituels de printemps et d'automne.
Il est d'ailleurs instructif de savoir que l'âme prend l'apparence d'un oiseau, aussi bien chez l'enfant avant l'acquisition de la parole,
que chez le vieillard, lors de la perte des dents et l'apparition de la confusion verbale :
dans les zones sans parole, en deçà et au-delà, l'âme est dans un état potentiel, elle peut quitter le corps en s'envolant.
L'âme ne reste dans le corps qu'à condition d'y être bien nourrie.
Tout affaiblissement augmente la vulnérabilité du corps et devient
la proie des esprits dont la stratégie est d'expulser l'âme
et de la maintenir à l'écart de celui-ci.
Nourrir les esprits est donc un acte préventif et protecteur.
D'une façon schématique, le voyage du chamane fait suite à l'accès de furie pendant la séance chamanique.
Cette folie est l'ensauvagement qui correspond à l'union avec un esprit.
Pour Roberte Hamayon, cet ensauvagement est la condition de la réalisation du voyage et traduit l'éloignement du monde des hommes.
Pour Mircea Eliade, l'incorporation et la possession par des esprits
sont des phénomènes universellement répandus
qui n'appartiennent pas stricto sensu au chamanisme.
À sa suite, le chamane s'effondre, en général en un lieu réservé. Il est inanimé.
C'est un état de transe que la médecine qualifiera de cataleptique.
Son âme est dans l'au-delà, avec les esprits.
L'angoisse règne dans l'assistance : va-t-il revenir ?
C'est la période de l'extase de Mircea Eliade, au cours de laquelle s'effectue les expériences de vol magique,
d'ascension au Ciel, ou de descente dans les Enfers. Pour ce dernier, l'extase est la cause de l'incorporation des esprits,
et non son résultat. C'est même l'élément spécifique du chamanisme.
De retour, le chamane raconte ce qu'il a vu, ce qu'il a fait.
Il peut le mimer également, le chanter, le danser, l'accompagner de cris et d'exclamations.
Pour Mircea Eliade,
la danse peut faire partie intégrante de l'extase, de même que l'imitation chorégraphique d'un animal.
Lorsqu'il répond aux questions de l'assistance, c'est parfois l'esprit qui habite le chamane qui parle.
Il s'agit alors d'une transe dramatique.
Le vol magique du chamane est largement tributaire de la cosmologie du monde.
Celui-ci est divisé en trois parties :
le Ciel, monde des divinités,
la Terre, monde des hommes,
et les Enfers, monde des ancêtres.
Le vol traduit la transcendance du chamane par rapport à la condition humaine, et l'autonomie de son âme.
Il traduit également l'intelligence et la compréhension des choses secrètes et des vérités métaphysiques.
Parce qu'il est capable de monter et de descendre dans les sphères,
les esprits peuvent descendre et s'incorporer au chamane.
Mais le vol magique déborde aussi le cadre du chamanisme puisque c'est une idéologie de la magie universelle.
Le vol s'effectue donc vers le haut et vers le bas.
Vers le haut, c'est l'ascension, la montée vers les puissances célestes.
Le chamane peut passer par l'orifice de l'étoile polaire, le clou du ciel, ou le nombril du ciel.
Le chamane intercède auprès des divinités qui règnent sur le monde animal : il va chercher des âmes.
Mais il peut aussi intervenir dans le cadre d'une famine. Ou dans le cadre de la divination.
Vers le bas,
c'est la descente dans le royaume des ombres, ou au fond de la mer où se trouvent les divinités des animaux marins (cas des esquimaux).
Le chamane descend chercher l'âme d'un malade, ou pour voler une âme et la faire naître dans notre monde.
Ou pour chasser des mauvais esprits. Ou pour rétablir un contact spirituel avec la mère des animaux.
Le vol magique s'effectue essentiellement au cours des rituels.
Les plus fréquemment cités sont :
Le tambour
Le tambour, de même que le costume, est un accessoire obligatoire chez tous les chamans.
D'autres instruments peuvent également servir de tambour :
les cannes chevalines, une cloche, une guimbarde, une poêle à frire, une corde.
L'identité sexuelle du tambour est à la fois mâle (pour la peau) et femelle (pour le cadre).
L'animation du tambour est cruciale pour l'entrée en fonction du chaman.
Ses fonctions sont multiples :
Bien que la peau du tambour porte souvent un dessin de cervidé à large ramure, le tambour n'est pas qu'une simple figuration d'esprit.
Il est un support ou un lieu de rassemblement des esprits (auxiliaires notamment).
Du statut d'objet, il passe ainsi au statut d'être animé grâce aux rituels d'animations
qui redonne vie (ou renouvelle la vie) à l'animal dont la peau a servi à le fabriquer[23].
Dans certains groupes (les Sor)
le chaman épouse son tambour (l'esprit féminin du tambour est alors une véritable épouse),
concrétisant ainsi le mariage avec la surnature (la fille de l'esprit de la forêt)
et traduisant l'alliance surnaturelle (le tambour héberge l'épouse surnaturelle).
Les rituels d'animation sont variables d'une contrée à l'autre.
Ils nécessitent la coopération des membres de la communauté.
Les rituels de grandes ampleurs se font principalement au printemps (Selkoupes).
L'animation du tambour, dans ce cadre, est une promesse de gibier, garantissant le succès à la chasse.
Les rituels évoquent alors une chasse symbolique à l'animal imaginaire. Mais les rituels d'animation peuvent être plus autonome, faisant suite, par exemple, à la chasse réelle d'un animal destinée à fournir la peau du tambour :
le chant du chaman peut alors retracer la vie de cet animal.
C'est l'esprit clanique (par exemple l'esprit de la montagne) qui déterminera l'utilisation future du tambour,
ainsi que le nombre de ses remplacements.
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